jeudi 31 décembre 2009

Les mots d'Albert

(...) Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu'elle ne le fera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse. Héritière d'une histoire corrompue où se mêlent les révolutions déchues, les techniques devenues folles, les dieux morts et les idéologies exténuées, où de médiocres pouvoirs peuvent aujourd'hui tout détruire mais ne peuvent plus convaincre, où l'intelligence s'est abaissée jusqu'à se faire la servante de la haine et de l'oppression, cette génération a dû, en elle-même et autour d'elle, restaurer à partir de cette négation un peu de ce qui fait la dignité de vivre et de mourir. Devant un monde menacé de désintégration, où nos grands inquisiteurs risquent d’établir pour toujours les royaumes de la mort, elle sait qu’elle devrait, dans une sorte de course folle contre la montre, restaurer entre les nations une paix qui ne soit pas celle de la servitude, réconcilier à nouveau travail et culture, et refaire avec tous les hommes une arche d’alliance. Il n’est pas sûr qu’elle puisse jamais accomplir cette tâche immense, mais il est sûr que, partout dans le monde, elle tient déjà son double pari de vérité et de liberté, et, à l’occasion, sait mourir sans haine pour lui. (...)

Albert Camus, discours de Suède, 10/12/1957

2 commentaires:

robedelune a dit…

Alors souhaitons à notre humanité, et on ne sait plus où donner de l'espoir, que la lumière gagne cette année un peu plus sur les ténèbres des esprits obscurs, assoifés de l'autre ou de ses biens...
Mais Camus au Panthéon ,comme le veuillent certains permettrait un beau discours commençant par (mais là il faut s'imaginer la voix de Malraux " Entre ici Etranger..."

antigone a dit…

Merci pour ce texte Bil, et belle nouvelle année à toi ! Espérons que l'humanité entende Alebert...