dimanche 28 janvier 2007

La fine équipe

Dossard 1298

Semi Marathon dimanche à Marrakech. Quelle idée ai je eu de me laisser entrainer ? Remarque, il valait mieux être entraîné... Mais bon. Vouloir courir ? Je ne comprenais pas l'engouement et l'excitation de mes camarades de course, et pas uniquement au départ. C'est vrai. Courir. Après quoi ? Après qui ? Ni balle, ni carotte en bout de course. Rien. Nada. Walou.
Bon. Il était dit qu'après le Toubkal, le prochain défi du quadra serait le (semi !) marathon avec toujours un même point de départ, Marrakech. Petite nuance, Jean-Claude régional de l'étape, goguenard habituel pour ce type d'aventure, ne s'est guère mouillé dans celle-ci. J'aurais du y voir un signe de sagesse qui aurait pu me laisser manger mes harengs pommes à l'huile, la veille. Mais que nenni, notre gourou de la course à pied avait édicté les règles, ses interdits, ses conditions. Pâtes, dormir, pâtes, dormir, pâtes. Un verre de vin rouge. UN. Gourou qui grimaça à la commande de carbonara du Bordes et du Bur les lardons et la crème, c'est vrai que c'était du lourd pour un dernier repas... Avant.
Bon, mais à ce détail diététique près, nous l'étions pour affronter le bitume de Marrakech. Les organisateurs semblaient s'activer aux derniers préparatifs du départ. Nous pouvions tranquillement regagner notre hôtel et disserter sur la tenue la plus adéquate pour ne pas trop transpirer, pour ne pas avoir chaud, pour ne pas prendre froid, pour rester léger et souple dans nos mouvements. Gourou Jean-Mi avait sa cotte de maille et son short flottant pour masquer les courbes du collant moulant. Martial le sage, en bon militaire, avait de toute façon prévu de braver n'importe quelle météo en gardant le minimum syndical. Le fougueux Philippe en sportif accompli enfilerait sa panoplie de super héros aérodynamique. Quant au 1298, entre le mal de gorge tenace, des crampes avant l'heure et un équipement à 2 balles, la question fut vite remisée aux oubliettes.
Nuit courte, nuit de course, comme si celle du jour ne suffisait pas. Au matin, le débat des mousquetaires reprit de plus belle autour du petit déjeuner. Trouver le bon dosage. Et puis toujours la recherche du bon vêtement. Les décisions de la veille ne tenaient plus debout pour certains. Peu importe. 8h10. L'heure tournait, il fallait se mettre en route.
Première déconvenue pour le 1298. L'échauffement ne se ferait pas pendant la course mais avant celle ci. "Rejoindre le départ en courant ?" Bon après tout, la place aperçue la veille n'était pas trop loin. Tout en râlant, en maugréant... j'allais effectuer ces quelques foulées qui selon mes acolytes seraient salvatrices au moment du départ. Comment et pourquoi courir avant un départ peut-il être plus avantageux pour un coureur qui cherche à s'économiser pour durer ? Il existe pourtant toujours un moment où l'on marche, où l'on est à l'arrêt avant de courir. Bon, même en traînant des pieds et des mains, j'avais fini par courir aussi. Courir dans l'ombre, pour du beurre. Je ne pensais pas si bien dire. Le départ n'était pas là où nous l'attendions. Horreur. Nous voilà en train de courir sans savoir où aller, à chercher en vain la ligne de départ. Courir pour aller courir. Faut-il être con. La maréchaussée présente à chaque carrefour se contenta de nous indiquer une vague direction... sourire aux lèvres. Tout droit, tout droit... Et au feu à droite. C'est bien ce qui m'inquiétait sur cette longue, longue avenue Mohamed VI ou V, je ne sais plus... J'avais beau avancer, scruter au loin, pas le moindre feu à l'horizon pour se dire que nous y étions, ou presque. Et bien sûr pas un centime en poche pour héler un taxi, pour appeler au secours et crier notre désespoir. Et quand enfin, après le fameux feu, quelques centaines de mètres supplémentaires (peut être km), un semblant d'animation, des boudins gonflés à l'hélium au bout du terrain vague étaient enfin en vue, la masse des coureurs avait déjà pris le départ. Circulez, il n'y a plus rien à voir. Bon... c'était donc parti... pour un grand tour dans l'inconnu. Rapidement, c'est à dire 50 m plus loin, je compris que mon rythme de course à l'échauffement (jamais été aussi bien échauffé) ne varierait guère contrairement à celui des copains qui donnaient l'impression de viser le podium en rattrapant au plus vite leur retard sur le peloton. J'étais clairement sur d'autres objectifs. Des milliers de personnes, des 4 coins du globe, étaient attendues pour participer à cette course. Pourtant à part quelques gamins au bord des routes et quelques traces (crachats) d'un passage récent de l'homo sapiens, rien n'indiquait qu'il s'agissait d'un rassemblement d'importance. Avec l'ambulance d'un côté, les pompiers de l'autre, j'avais cependant encore assez de lucidité pour comprendre que c'était moi qui fermais la marche... Pas de doute, la passion de saint Mathieu dans les oreilles allait accompagner mon chemin de croix. Premier pied de nez, dans cette course de solitaire, le passage après 20 minutes (sans compter les 25 minutes de soit disant échauffement) devant notre hôtel... Toutes ces foulées pour revenir au point de départ... Difficile de ne pas imaginer qu'il eut été plus simple de les attendre là, pour mieux emboîter le pas des coureurs. C'était sans compter notre puce électronique qui avait enregistré notre passage. Du moins je l'espérais. Si en plus le chrono n'avait pas fonctionné... Je poursuivais avec mes compagnons de route motorisés, pour tenter de rattraper au moins un premier coureur... Fuir cette voiture balai et surtout éviter le concert de Klaxons d'automobilistes furibards bloqués aux croisements du fait de la course. J'avais beau les saluer timidement en passant, comme un semblant d'excuse pour atténuer leur infortune, leur patience semblait avoir atteint ses limites. Les premiers coureurs que je rejoignais enfin justifiaient aisément le fait d'être derniers. Défavorisés par la nature mais déterminés à relever le défi de cette épreuve, ces coureurs affichaient tous un profil différent du mien. Du moins j'essayais de me convaincre. Je ne pouvais en tout cas me résoudre à appartenir à cette nouvelle communauté de coureurs. Obèses ou simplement gros, mères de famille en Djellaba, grands pères d'un autre âge... tous trottinaient, dodelinaient, transpiraient... Les dépasser à l'entrée des jardins d'oliviers de la Menara était un jeu d'enfant. Arrivé au Km 5, premier pointage et point de ravitaillement, la route n'était plus que désolation. Des milliers de bouteilles explosées au sol sur des dizaines de mètres témoignaient là plus du passage des Huns que de celui de sportifs du dimanche. Les attardés, retardataires que nous étions avec ma bande de bras cassés, n'auraient pas une goutte. Coup de bambou. Le chrono affichait en plus un temps médiocre, loin de mes "références" habituelles. Il fallait accélérer... allonger la foulée et dépasser encore, encore... un maximum de bipèdes pour revenir dans cette course à handicaps. Le retour dans les rues de la ville me permettait de profiter des encouragements des habitants sortis saluer l'événement du jour. Les enfants, les plus nombreux se montraient particulièrement enthousiastes à taper la main des coureurs qui leur passaient sous le nez. Plus le moment de perdre de temps, je me concentrais sur mes efforts et restais à l’affût du moindre signe de douleur qui risquerait de me contrarier dans ce footing longue durée. L'heure de course, et le panneau du 10 Km bizarrement venaient m'apporter un semblant d'euphorie. Tout allait bien, je buvais de l'eau, enfin, au ravitaillement, et surtout il me restait des forces pour entamer la deuxième moitié du parcours. La solitude des premiers Km n'était plus qu'un vilain souvenir, la ville gardait le mode pause pour ses véhicules et se découvrait de nouvelles artères classées en zone piétonne. Oui l’émulation collective peut être un excellent ressort. Chacun regardait devant soi, courait, chacun à son rythme, chacun avançait, là était l’essentiel et peu importe que les premiers aient déjà terminé leur semi. Vivats de foule, cris de femmes, épouses ou concubines, sans doute récemment mariées pour être aussi enthousiastes, qui agitaient là, fanions, cloches et autres banderoles à la gloire de leurs favoris, époux ou conjoints, héros d‘un jour. Les flashs crépitaient pour immortaliser les joues rougies et la mine ébahie de l’être bien aimé. Pour ma part, les panneaux du 12,5 puis assez rapidement du Km 17,5 suffisaient à mon bonheur pour me galvaniser davantage et lâcher ce que j’avais encore sous mes semelles. Les dernières réserves, les derniers abricots secs, les dernières forces… peu importe. Il fallait tout lâcher. L’arrivée n’avait jamais été si proche. C’est ce que je pensais. Jusqu’à cette bifurcation, près de 20 minutes plus tard, où l’on invitait les marathoniens à prendre à droite et les autres à gauche… Pour les trois derniers kilomètres. Coup de massue cette fois, terrible. Je crus chanceler. Le précédent panneau du 17,5 s’adressait en réalité aux marathoniens seuls…. Rien de plus pour m’achever, me saper le moral et traîner la jambe, les deux... sur ces derniers mètres. Des mètres qui étaient des kilomètres. Dans cette ambiance infernale, les informations contradictoires circulaient plus facilement, que les coureurs. Je pestais intérieurement contre les organisateurs, contre … contre la Terre entière. Le Kilomètre 20 ne pouvait être qu’un calvaire, en harmonie avec JS. Bach, complice austère et discret qui me convenait assez bien pour me guider dans ces derniers instants vers la délivrance. Les boudins au bout de l’avenue, symboles d’une arrivée tant attendue illuminaient mon regard acidifié par la sueur. Tout serait bientôt fini. Je n’osais y croire. Les marathoniens qui arrivaient aussi sur ce final avec un temps identique pour deux fois plus de bornes, se payaient le luxe du sprint à grandes enjambées. Incroyable. Frêles kenyans, athlètes marocains… on était loin du gabarit de mon groupe poids lourd 2 heures plus tôt. Derrière les rambardes, mon trio arrivé une demi-heure plus tôt, avait patiemment attendu et me réservait la plus belle des ovations. Je ne sentais plus rien. Je savais que j’avais franchi la ligne, reçu un peu d’eau, des fruits et une médaille, mais mon corps, ma tête n’étaient plus qu’une enveloppe d’un vide absolu. 2h18mn. Mission accomplie. Mais pas de temps pour refaire la course et les calculs. Le train de 13h devait nous ramener au bercail. Retour express en taxi à l’hôtel… pour une dernière douche… froide. Bien réelle celle ci aussi. Pas de chauffe-eau opérationnel…. Pas d’eau chaude pour nos muscles endoloris. Calice jusqu’à la lie. Nos épouses fières des mâles de maris, pendant ce temps, n’avaient guère chômé. Les bagages avaient doublé de poids et de volume. Histoire de varier la manière de rapporter des souvenirs de Marrakech…

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